| Tribune Septembre 2021

Tribune Septembre 2021

Par Patrick Rasandi, Formateur Coach, Fondateur d’IPRH Consultants, coach certifié, membre du Bureau du Syndicat des Métiers du Coaching

Et si nous évoquions les émotions ?

Depuis plusieurs mois, la recherche de sa « raison d’être » est au cœur de toutes les entreprises. Effet de crise, de communication ? Si nous ne pouvons que nous réjouir de l’émergence d’une telle préoccupation liée au « sens », les moyens mis en œuvre pour discerner cette raison d’être ne se sont que peu enrichis.

Ainsi, les méthodes répandues pour la nourrir mobilisent la créativité, l’intelligence collective mais bien peu les émotions. Pourtant, les émotions sont probablement les meilleurs guides sur ce chemin ! Voyons pourquoi il est incohérent de dessiner une « raison d’être » sans intelligence émotionnelle.

D’une part, selon une étude de l’IFOP, 95% des Français et Françaises déclarent attendre que les entreprises s’engagent d’elles-mêmes en faveur des enjeux de la société. Et la raison d’être correspond précisément au rôle qu’une entreprise entend jouer dans la société et au-delà de sa seule activité économique. Elle relève souvent de l’intérêt général et donne du sens à ses activités en plus d’être un élément différenciant qui colore son identité.

D’autre part, la réflexion des organisations est désormais basée sur la valorisation de l’individu et on intègre de plus en plus le fait que la productivité passe autant par l’accueil des émotions que par les compétences techniques.

L’alignement d’étoiles est donc parfait, et la raison d’être concerne toutes les entreprises.

En effet, associée à l’engagement, à la vision stratégique mais aussi au bonheur, la recherche de sa raison d’être dans le domaine professionnel occupe les start-ups et les plus grandes entreprises, mais aussi les individus. On pense notamment aux Millenials ou encore aux personnes ayant fait un burn-out.

Mais à l’heure où le raz-de-marée de la crise sanitaire semble s’apaiser, on voit se dessiner sur le sable une quête de sens plus profonde encore, touchant davantage de personnes et dans tous les domaines de vie, pas seulement professionnel.

Et j’en suis convaincu, la recherche de sa raison d’être n’a de “sens” que si elle compte sur les émotions !

« Des émotions révélatrices de nos valeurs »

On parle d’intelligence émotionnelle. La crise a rebattu les cartes et propulse l’intelligence émotionnelle au rang de compétence clé du 21ème siècle. C’est d’ailleurs ce que précisait une étude réalisée par Capgemini Institute Research en 2019 : 61% des dirigeants et dirigeantes interrogés ont affirmé que l’intelligence émotionnelle allait devenir une compétence incontournable au cours des prochaines années et 83% des organisations ont estimé qu’elle allait jouer un rôle crucial dans leur réussite future. Nous y sommes et c’est fort bien !

Pourquoi ? Parce que nos émotions agissent comme des intermédiaires entre nous et notre environnement, au service de notre survie et de notre bien-être. Lorsque nos besoins sont contrariés, elles nous permettent de nous en rendre compte rapidement et nous poussent à agir pour y répondre. Et c’est cet aller-retour entre nos émotions et notre réflexion qui garantit la meilleure adaptation possible à notre environnement, dont professionnel.

Parmi tous les atouts que représentent nos émotions, il en est un particulièrement pertinent lorsqu’on se penche sur la recherche de sa raison d’être.

En effet, nos émotions sont de formidables révélatrices de nos valeurs ! Elles surviennent en réaction à ce que nous percevons dans nos relations, dans notre environnement proche mais aussi dans le monde. Ces réactions spontanées témoignent de ce à quoi nous prêtons attention, de ce qui nous touche, de ce qui nous convient, de ce qui n’est pas en accord avec notre bien-être au sens large. Elles sont primitives et en cela, elles naissent au plus profond de nous, là où se logent nos désirs et nos besoins les plus puissants, dénués de jugements sur nous-même.

Cela ne présage pas de la manière dont nous mettons en œuvre nos valeurs mais nous permet de dessiner les contours de la vie et du monde que nous souhaitons voir advenir et de la place que nous souhaitons prendre dans ce monde. Et c’est l’essence même d’une raison d’être !

« Des émotions qui ont un impact au niveau du collectif »

C’est dans les différences entre les personnes et entre les collectifs que des indices de raison d’être se logent. Puisque les émotions sont si précieuses à l’être humain, cela signifie aussi que s’en passer a des conséquences négatives. A l’échelle collective, l’ensemble des émotions d’individus composant un collectif telle qu’une entreprise, tracent le chemin auquel ce collectif aspire. Plus les valeurs portées par un collectif seront alignées avec les valeurs incarnées par chaque individu et plus l’engagement et la motivation ressortiront.

Ainsi, la recherche de sa raison d’être sans tenir compte des émotions semble bien difficile et superficielle. D’ailleurs, les études scientifiques montrent que les équipes dont les managers ont de faibles quotients émotionnels ont des niveaux d’engagement et de profit moins importants et des taux de turn-over plus importants que les équipes dont les managers ont de forts quotients émotionnels. La performance sociale, financière et environnementale d’une entreprise est aussi positivement influencée par le niveau d’intelligence émotionnelle de ses dirigeants et dirigeantes.

Concernant la raison d’être, l‘accueil et la prise en compte des émotions des salariés sont riches de renseignements et constituent des ressources pour la prospérité des entreprises.

Par exemple, la tristesse ressentie suite à un changement, qu’il soit correctement conduit ou non, témoigne de l’attachement du salarié à l’ancienne configuration de travail. L’agacement face au manque d’informations renseigne quant au besoin d’autonomie et de maîtrise. La joie au moment de la finalisation d’un projet survient lorsque nous sentons les enjeux associés à ce projet, lorsque ce projet rencontre nos aspirations profondes. La contrariété qui apparaît lorsqu’on n’est pas satisfait de son travail pousse à nous concentrer et à produire un meilleur travail la prochaine fois. L’anxiété avant une échéance décisive renvoie à notre besoin d’être à la hauteur de nos attentes.

Le besoin de donner du sens : une réalité

Vous vous retrouvez sûrement derrière certains de ces exemples car ils sont généraux et peuvent s’appliquer à la plupart des gens dans diverses situations. Cependant, c’est dans les différences entre les personnes et entre les collectifs que des indices de raison d’être se logent. Autrement dit, une équipe ne se réjouira pas pour les mêmes projets qu’une autre. De même que plusieurs entreprises vibrent différemment face aux enjeux sociétaux. La bonne nouvelle est que transformer les émotions en facteur de réussite personnelle et collective, créer un climat émotionnellement positif, redonner le pouvoir aux émotions dans l’entreprise ou encore ré-enchanter les relations humaines : ça s’apprend !

Ce sont bien les émotions de tous les individus qui constituent cette entreprise qui répondent émotionnellement à une raison d’être et qui la portent chaque jour de travail. Le besoin de donner du sens à ce que l’on fait et son corollaire – le besoin de s’engager dans des projets qui ont du sens pour nous _ est une réalité à l’échelle individuelle comme à l’échelle collective, dans les entreprises cotées en bourses comme dans les associations.

Les émotions de chaque collaborateur sont une pièce du puzzle de la raison d’être de son entreprise. S’en passer n’a aucun sens parce que : pas de raison d’être ni de quête de sens sans intelligence émotionnelle !