| Tribune Mai 2022

Tribune Mai 2022

Le travail est-il en voie d’extinction ?

Par Patrick Rasandi, Fondateur d’IPRH Consultants, Formateur, coach certifié, membre du Bureau du Syndicat des Métiers du Coaching

Le travail constitue la norme, et c’est en l’exerçant que l’on acquiert les moyens de vivre. Il est également le lieu où nous mettons en scène nos capacités, où nous participons à la construction de nouvelles réalisations.

Le travail occupe ainsi une place centrale, faisant de l’absence de celui-ci – et donc de revenus, d’utilité et d’inscription dans un collectif – une situation souvent mal vécue par les personnes ainsi que par la société. Pourtant, selon certains sociologues, le travail ne serait plus le vecteur privilégié de l’épanouissement individuel ainsi que du lien social.

La fin du travail

Le travail serait même de moins en moins valorisé, la nouvelle génération lui accordant désormais moins d’importance que les générations précédentes. On parle depuis les années 70 « d’allergie au travail »*, et d’autres auteurs vont encore plus loin aujourd’hui en affirmant que la « valeur travail » a disparu de l’espace social**. L’industrialisation ayant sectionné le sens, le signifiant a vraisemblablement  abandonné son signifié.

Le travail aurait-il donc perdu sa sémantique ? La distance instaurée entre l’acte professionnel et l’objet qui en résulte, la platitude des gestes, l’absence de spontanéité et de créativité, fabriquent effectivement pour beaucoup un travail sans joie, dont le seul intérêt consiste en un moyen de se sustenter. Ils sont alors de plus en plus nombreux à refuser de gaspiller leur vie à occuper un emploi vide de sens. Ils décident d’exister autrement ; le travail n’est plus au cœur de leur quotidien.

Les nouvelles formes de non-travail

Ainsi donc le travail, fait social total, ne semble plus relever de l’évidence. L’absence d’emploi jusqu’à présent frappée d’un lourd stigmate est aujourd’hui choisie par certains, de manière transitoire ou définitive.

·Les détravailleurs

Ils travaillent moins pour vivre mieux. La plupart du temps, ce sont des diplômés qui ne souhaitent pas sacrifier leur équilibre comme ce fut le cas pour leurs parents. Ils ont une grande conscience écologique et perçoivent avec lucidité la relation entre suractivité humaine et désastre environnemental. Ils ne veulent plus contribuer à alimenter ce système destructeur***.

·Les démissionnaires

Ils quittent leur travail du jour au lendemain. Ce phénomène est massif aux États-Unis : il se nomme la grande démission. Cette tendance arrive en France. Avec un taux de chômage qui n’a jamais été aussi bas depuis plus de dix ans, les salariés peuvent espérer une meilleure écoute de leurs besoins : un travail mieux rémunéré et avec plus de sens. Il est urgent pour les dirigeants de questionner leurs techniques de marketing RH (qui ne fidélisent qu’à court terme) pour repenser en profondeur un nouveau rapport au travail.

·Les très jeunes retraités

Ils prennent leur retraite à cinquante, quarante, voire même trente ans, s’inspirant du mouvement FIRE né dans les années 2000 aux États-Unis. Ils prônent l’indépendance financière et une retraite précoce ; le principe défendu est de vivre de manière frugale pendant ses années de travail pour épargner le plus possible. La somme ainsi placée servira de retraite pour vivre durant les années de liberté sans travail.

.Vers un meilleur équilibre de vie

Dans les trois cas, c’est toujours un meilleur équilibre de vie qui est recherché. Il est important ici de rappeler que certains pays ont des modes de fonctionnement qui permettent aux salariés de développer un véritable équilibre vie professionnelle/vie personnelle. C’est par exemple le cas de la Suède. Seul 1% de la population active suédoise effectue des heures supplémentaires. Un taux qui compte parmi les plus bas des pays de l’OCDE. Il reste ainsi aux Suédois du temps de vie en dehors du travail, là où la France est championne du présentéisme.

Pour aller plus loin, de nombreuses entreprises ont adopté la semaine de quatre jours et pour beaucoup les effets sont très satisfaisants : moins de démissions, d’absentéisme, de maladies professionnelles, plus de satisfaction au travail. Alors pourquoi ne pas l’envisager comme une solution généralisable ?

Rappelons-nous que le week-end a été créé au début du XXème siècle, et que dès cette époque certains économistes étaient favorables à un allongement de celui-ci d’une journée supplémentaire. Ce débat est plus que jamais d’actualité aujourd’hui, cette répartition du temps de travail apparaissant comme une solution valable pour ralentir le changement climatique.