| Tribune Janvier 2022

Tribune Janvier 2022

Par Patrick Rasandi, Formateur Coach, Fondateur d’IPRH Consultants, coach certifié, membre du Bureau du Syndicat des Métiers du Coaching

 » Burn-out, ghosting, perte de sens » : comment y faire face en 2022 ?

Burn-out, érosion de la culture d’entreprise, « ghosting » (abandon de poste du jour au lendemain, en ne donnant plus de signe de vie à son employeur) sont autant de sujets qui surgissent en cette période encore instable, à la fois pour les salariés et les entreprises.

De récentes études montrent que l’épuisement professionnel, ou burn-out, atteint des niveaux sans précédent. Comme le souligne Jack Kelly, CEO et spécialiste du recrutement, dans Forbes, « nous avons passé l’année dernière coincés à la maison, certains étant confrontés au chômage, d’autres à la crainte de conserver ou non leur emploi, ou encore à jongler entre la supervision des cours à distance des enfants et son propre travail, quand d’autres ont été directement confrontés à la maladie… Aujourd’hui, si vous vous connectez sur les réseaux sociaux, vous serez probablement confronté à de la colère, voire même de la haine. Nous vivons dans un environnement professionnel toxique ».

Jack Kelly précise que l’on commence à se sentir « épuisé » lorsque que nous n’avons plus de contrôle sur notre carrière ou notre emploi, ou si nous ne trouvons pas de moyens de faire correctement notre travail – quels que soient nos efforts – ou encore si les tâches qui nous sont confiées ne nous correspondent pas ou plus.

L’épuisement professionnel en chiffres

Indeed, site agrégateur d’emplois, a mené une enquête auprès de 1 500 travailleurs américains pour déterminer le niveau d’épuisement professionnel, dont voici les principaux résultats. Premier constat, le burn-out gagne du terrain en 2021 : Plus de la moitié (52%) des répondants affirment souffrir d’épuisement professionnel, contre 43% en période pré-Covid-19.

53 % des Millennials étaient déjà épuisés avant la pandémie, et ils restent la population la plus touchée, avec 59 % de réponses positives aujourd’hui. Vient ensuite la Génération Z, avec 58% de personnes concernées (contre 47% lors de l’édition précédente). Les conséquences de la pandémie sont également plus visibles chez les générations plus âgées. Concernant l’épuisement professionnel, les Baby-Boomers affichent une augmentation de 7 points (31% vs 24%), et 54% des salariés issus de la Genération X sont actuellement épuisés (un bond de 14% en un an).

Tous âges confondus, 80% des répondants estiment que le Covid-19 a eu un impact sur l’épuisement professionnel au travail. Une large majorité – environ 67% – déclare qu’il s’est aggravé pendant la pandémie, bien que 13% pensent qu’il s’est amélioré. L’étude ajoute que de nombreux travailleurs ont réagi en mettant l’accent sur les soins personnels et la santé mentale, en trouvant un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée, ou encore en explorant de nouveaux passe-temps.

Impact de la culture d’entreprise

L’enquête mondiale sur la culture organisationnelle de 2021, menée par PWC auprès de 3 200 travailleurs dans plus de 40 pays, montre que des cultures fortes génèrent de meilleurs résultats commerciaux. La majorité (69 %) des hauts dirigeants attribuent une grande partie de leur succès durant la pandémie à leur culture d’entreprise. De manière plus générale, 67% des répondants déclarent que la culture est plus importante que la stratégie ou les opérations. Ils conviennent également que les principales priorités culturelles devraient inclure le recrutement et la rétention, la digitalisation, la santé et la sécurité, ainsi que la collaboration.

Mais les données pointent aussi un décalage grandissant entre les affirmations des dirigeants (en particulier à propos de diversité, d’équité et d’inclusion) et ce que vivent leurs collaborateurs.

La perspective canadienne de cette enquête mondiale aborde ce point sous un angle pragmatique. Au Canada, les mesures de confinement ont été parmi les plus restrictives d’Amérique du Nord. De nombreux Canadiens se sentent épuisés et anxieux face à l’incertitude qui perdure, alors qu’ils évoluent dans des environnements de travail qui, dans bien des cas, semblent radicalement différents de ce qu’ils étaient il y a 2 ans. En outre, le fossé se creuse entre la façon dont les hauts dirigeants et les employés perçoivent la culture organisationnelle : 63 % des hauts dirigeants croient que leur culture organisationnelle les distingue de la concurrence, alors que seulement 41 % des employés partagent ce point de vue.

Les employés semblent de moins en moins croire que leur entreprise sera assez flexible pour répondre aux exigences du nouveau monde du travail, et nous en constatons les retombées. De nombreuses personnes quittent leur entreprise pour aller travailler pour une autre dont la culture organisationnelle correspond davantage à leurs valeurs et à leur nouvelle réalité. L’enquête démontre en outre que les employés veulent travailler pour des entreprises dont :

– Les dirigeants joignent le geste à la parole ;

– Les dirigeants sollicitent activement le feedback des employés et y donnent suite ;

– Les incitatifs et les avantages sociaux sont adaptés à leur nouvelle réalité.

Lorsqu’ils sont optimisés, ces attributs culturels peuvent aider les employeurs à attirer et à retenir les meilleurs talents, et ainsi à optimiser leur potentiel.

Ghosting et renversement de tendance

De plus en plus de salariés quittent leur emploi brutalement, sans en informer leur employeur. Blind, un réseau social anonyme sur lequel il est possible de s’exprimer librement sur son lieu de travail, a mené une enquête auprès de plus de 500 professionnels en octobre 2021.

Celle-ci montre que les salariés deviennent de plus en plus audacieux lorsqu’ils envisagent de changer de poste. 1 salarié sur 50 a ainsi admis avoir quitté un emploi sans en informer son responsable ou le service RH au cours des derniers dix-huit mois. Certains mettent en avant le fait que la loyauté n’est plus une valeur importante et que les entreprises remplacent facilement les démissionnaires. 28% ont également déclaré avoir « sauté » un entretien d’embauche ou cessé de communiquer avec une entreprise pendant leur processus d’entretien. 1 salarié sur 10 a refusé un emploi après avoir pourtant signé avec l’entreprise, selon Blind.

La volonté des candidats d’ignorer les codes professionnels établis depuis des décennies, y compris le renoncement aux accords professionnels, peut être un signe supplémentaire que la « grande démission » est plus conséquente que prévu.

Les candidats ont renversé la tendance. Aujourd’hui, nous observons que tous ces facteurs semblent s’accélérer. Cela touche même des cadres qui ont passé de nombreuses années dans la même société et qui abandonnent leur poste avec une grande désillusion. Leur motif ? Ni leur professionnalisme, ni leur loyauté envers leur employeur ne sont ou n’ont été reconnus, les managers à tendance « toxique » se succédant dans leur entreprise…

Le constat d’un « dérèglement » est aujourd’hui partagé par de nombreux acteurs des ressources humaines. La question est de savoir comment y remédier. Ces salariés en difficulté doivent-ils rester dans l’illusion d’un système qu’ils croyaient plus vertueux ? Ou au contraire, cette période est-elle l’occasion de prendre conscience de la réalité des organisations dans lesquelles ils évoluent pour leur permettre de renouer avec leurs valeurs intrinsèques ?

De leur côté, les entreprises sont plus que jamais centrées sur la gestion de la crise du Covid-19, de leurs actionnaires, de leurs résultats financiers, de la concurrence mondiale, des enjeux RSE et la gestion des parties prenantes… La culture d’entreprise est elle aussi au cœur de la gestion du capital humain, mais pour cela, les entreprises doivent être conscientes des attentes de leurs salariés. Comme ces études le montrent, il en va de leur survie et de leur prospérité !

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Interview de Patrick Rasandi par Laurence Molani de « Psychologies Magazine »

L.M : Quels sont les signes qui montrent que le burn-out est proche (ou déjà là) ?

P.R : Le burn-out (effondrement) est toujours précédé d’un burn-in, une période de surchauffe plus ou moins longue à se dessiner. Le comportement de la personne commence alors à se modifier. Cela se manifeste par des troubles de l’humeur : irritabilité, cynisme, repli sur soi, crises de larmes inexpliquées, impatience, agressivité, etc. Cet état s’accompagne généralement de troubles physiques particulièrement symptomatiques comme un mal de dos récurrent, des lumbagos et/ou migraines à répétition, insomnies, perte ou prise de poids, voire des problèmes de peau… Dans les semaines ou mois qui précèdent l’effondrement, la personne va surinvestir son travail, avec le sentiment toutefois de ne pas réussir à tout boucler. Persuadée que la clé du problème est dans le surpassement de soi, elle opte pour un rythme de travail effréné en mode « pilotage automatique ». Pourtant, cette sensation d’inachèvement ne la quitte pas. La personne ne comprend plus rien, ne parvient plus à mener à bien ses tâches habituelles et perd en efficacité. Il faut bien comprendre que les signes annonciateurs ne se manifestent pas forcément d’un coup. En fait, ils surviennent progressivement et sournoisement, c’est ce qui explique que la plupart des personnes concernées ne voient rien venir…

L.M : Chez IPRH Consultants, comment accompagnez-vous les personnes qui souffrent de burn-out ?

P.R : Nous analysons tout d’abord les causes de l’épuisement, intrinsèques comme extrinsèques. S’il est difficile de modifier les causes extrinsèques (extérieures à l’individu), il est tout à fait possible de travailler les causes intrinsèques (liées au comportement de l’individu). En effet, pour que l’épuisé prenne conscience de sa situation, il faut qu’il assimile le processus l’ayant conduit à l’effondrement psychique et physique que constitue le burn-out. Nous étudions ensuite en profondeur le rapport au travail de la personne épuisée. Il est essentiel de comprendre les racines « du mal » qui, bien souvent, se situent dans l’enfance (je pense notamment au syndrome du ou de la bon(ne) élève », à la pression familiale ou à l’exemple parental) ou dans l’image sociale que l’on souhaite renvoyer aux autres. Il s’agit enfin de rééduquer le comportement de la personne épuisée afin qu’elle puisse réinvestir les sphères extra-professionnelles, longtemps délaissées, et se constituer de solides limites et garde-fous. En dernier lieu, nous travaillons sur l’ancrage de ces nouveaux comportements dans le temps afin que l’épuisé ne reproduise pas son ancien cercle vicieux mais, au contraire, qu’elle puisse mettre en place un cercle vertueux et respectueux de son écologie personnelle.

L.M : Comment rebondir après un burn out ? 

P.R : Pour rebondir après un burn-out et reprendre une activité professionnelle, il faut tout d’abord s’être posé les bonnes questions et avoir compris les ressorts de son burn-out. Cela est compliqué au moment où l’on a la tête dans l’eau et que l’on est en pleine zone de turbulences. Ce n’est qu’après un certain temps (bien souvent à l’occasion d’un arrêt de travail ou d’activité) qu’il est possible de prendre du recul et de commencer à se projeter. La rééducation de son rapport au travail est alors essentielle. Plusieurs issues sont envisageables : la reprise au même poste, mais avec des limites, notamment dans les secteurs où le rythme de travail est très soutenu ; le changement d’organisation, surtout lorsque l’épuisement provenait d’un univers professionnel toxique ou malveillant ; le changement de métier, autrement dit la reconversion professionnelle. Bon nombre d’épuisés optent, lorsqu’ils commencent à aller mieux, pour le bilan de compétences ou le bilan de carrière afin de faire le point et de trouver une voie correspondant à leurs valeurs et leurs besoins. En pratique, nous constatons que beaucoup d’épuisés le sont parce qu’ils n’étaient pas dans le bon « habit » professionnel. En sur-effort permanent, ils ont épuisé leurs ressources pour assurer un quotidien qui, finalement, ne leur convenait pas.