« Le parallélisme entre le jazz et le leadership managérial » (Episode 3 et fin)
Par Patrick Rasandi, Fondateur et dirigeant d’IPRH Consultants, Formateur, coach senior certifié, Membre du Bureau du Syndicat des Métiers du Coaching.
Cette tribune est la troisième et dernière d’une série consacrée au parallèle entre le jazz et le leadership. Promouvoir la diversité et favoriser l’inclusion continuent de représenter des défis quotidiens pour les managers. La variété des profils des équipes constitue un atout lorsqu’il est exploité avec pertinence. Nous avons vu précédemment que la diversité est indissociable de l’histoire du jazz, musique de métissage, soumise à de nombreuses influences tout au long de son évolution.
Le principe de la jam session adapté à l’entreprise ?
Un orchestre de jazz va rechercher la diversité de ses membres, en raison des expériences et des styles musicaux différents qu’ils apportent. Le parallèle avec l’entreprise devrait être évident : la diversité des profils et des talents génère de l’innovation et de l’agilité. Chez les musiciens de jazz, le principe de la jam session ouvre des pistes très intéressantes pour le monde de l’entreprise. Faire une jam (ou « faire le bœuf » en français) consiste, pour un musicien qui ne fait pas partie de l’orchestre qui se produit sur scène, à demander à cet orchestre s’il peut venir jouer un morceau avec eux à un moment de la prestation. Le plus souvent, l’orchestre accepte et accueille ce musicien pour un morceau, voire plusieurs s’il joue bien. Ce principe dépasse la simple absence de préjugés pour encourager l’ouverture et la curiosité et également instaurer un esprit de progrès continu. Le musicien invité peut, par son jeu, « pousser » les autres à se dépasser, à se réinventer, à trouver un second souffle. Il peut, par son style, infléchir le jeu collectif, suggérer de nouvelles palettes sonores, de nouvelles couleurs musicales.
Transposé dans l’entreprise, le principe de la jam session peut stimuler la créativité en associant des personnes d’autres équipes ou départements à la réflexion. Il peut être utile, par exemple, d’associer des clients internes ou externes à des problématiques de développement de nouveaux produits ou services.
Apprendre à désapprendre pour éviter la routine
À leur tour, ces rencontres brisent la monotonie et laissent jaillir la créativité. Elles forcent la remise en cause et la recherche de façons de jouer différentes, en évitant le piège de la routine. A l’instar d’une équipe, une petite formation de jazz doit entretenir et développer ses compétences individuelles et collectives. Individuelles, par le travail personnel de l’harmonie et de l’instrument (ah les gammes !). Collectives, par différents moyens qui peuvent être transposés au monde de l’entreprise. Tout d’abord à travers la curiosité et l’ouverture à de nouveaux morceaux ou répertoires évoqués précédemment. La diversité mentionnée plus haut enrichit non seulement la musique, mais aussi les musiciens eux-mêmes en leur procurant l’opportunité d’apprendre les uns des autres, d’élargir leurs horizons musicaux et de développer de nouvelles compétences. Ensuite par la recherche de défis musicaux et techniques communs, par exemple le choix d’ajouter au répertoire des morceaux particulièrement complexes ou virtuoses.
La liberté dans un cadre
L’improvisation, nous l’avons vu, se construit en respectant les accords qui constituent la trame harmonique des morceaux. Ce cadre harmonique, loin de contraindre, fournit un support sur lequel il est possible de donner libre cours à sa créativité et son imagination. Cette approche, dans l’entreprise, pourrait inviter à revisiter les procédures, les processus et les règles souvent vécues comme limitantes et les transformer en opportunités d’action. Une bonne compréhension des processus permet de travailler efficacement tout en offrant la liberté de proposer des améliorations. Les équipes peuvent identifier de nouvelles idées pour améliorer l’efficacité du projet, comme l’automatisation de certaines tâches répétitives ou l’utilisation d’outils innovants, l’intelligence artificielle notamment.
Donner du sens avec le bon tempo
Le tempo signifie beaucoup plus qu’une simple information de vitesse métronomique. Donner le tempo constitue un acte fondamental pour projeter l’orchestre vers le résultat final en transmettant plusieurs messages. La vitesse d’exécution bien sûr : à l’écoute, beaucoup de morceaux semblent différents, voire tout à fait nouveaux lorsqu’ils sont interprétés dans un tempo différent. L’intention ensuite : le tempo donné peut véhiculer plus ou moins d’énergie. Dans tous les cas, ce tempo fait l’objet d’un temps d’appropriation, qui, sur scène se traduit par un court moment pendant lequel il peut être donné à plusieurs reprises (en boucle) pour s’assurer que tous les musiciens le comprennent et sont prêts à démarrer en pleine concentration. Il fait également souvent l’objet d’une concertation préalable (soit sur le moment même, soit durant les répétitions) entre les musiciens pour en garantir son appropriation. Un tempo trop lent ou trop rapide peut pénaliser la dynamique collective et l’expression individuelle des musiciens et, ce faisant, nuire à la beauté de la prestation. De cette conciliation préalable nait l’adhésion, comme dans tout projet de changement en entreprise.
Ce parallèle entre le jazz et le leadership met en évidence la nécessité dans les deux univers de concilier plaisir et travail, épanouissement des talents individuels et jeu collectif, respect des normes et improvisation, enjeux de performance et recherche d’esthétique. Dans son quotidien de dirigeant, le leader pourra s’inspirer du jazz. En alternant son rôle de soliste et d’accompagnateur, en développant son écoute, en favorisant un climat de confiance mutuel et en encourageant la prise de risque et le droit à l’erreur, il saura mobiliser ses équipes autour d’une vision motivante du monde qui vient.
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Article BONUS / Conseil coaching rédigé par l’équipe d’IPRH Consultants !
Santé mentale : une responsabilité partagée entre collaborateur, manager et employeur !
En octobre 2024, le gouvernement français a érigé la santé mentale en « Grande cause nationale » pour l’année 2025, définissant quatre priorités : déstigmatiser, prévenir, renforcer l’accès aux soins et promouvoir les nouveaux métiers du secteur. Près d’un Français sur cinq est concerné par des troubles de santé mentale, pourtant souvent relégués à une sphère strictement individuelle. Cette vision réductrice ignore la responsabilité partagée des managers et des organisations, mais aussi l’importance de créer un environnement de travail propice au bien-être de chacun.
Rompre avec le modèle du surinvestissement personnel
La culture du surinvestissement, omniprésente dans de nombreux environnements de travail, encourage souvent les managers à se poser en modèles d’endurance et de disponibilité sans faille. Mais cette approche, en faisant l’impasse sur le bien-être, peut mener à l’épuisement et à une dévalorisation des pratiques de « self-care ». À l’inverse, montrer l’exemple par des comportements de prise en charge de sa santé mentale, comme une véritable pause déjeuner, des déconnexions régulières ou encore la pratique d’activités sportives, peut influencer positivement les équipes et contribuer à changer la culture d’entreprise.
Il est essentiel que les managers se dédouanent de la croyance que prendre soin de soi est un signe de faiblesse ou de désengagement. En prenant soin de leur propre santé mentale, ils pourront inspirer et donner les moyens à leurs équipes de faire de même, favorisant ainsi un environnement de travail équilibré et résilient.
Former les managers à la santé mentale pour un leadership inclusif
Les parcours académiques et les formations en management intègrent encore trop peu la santé mentale comme un domaine essentiel de compétences. Nombre de responsables ne sont pas préparés à aborder ces sujets ni à identifier les signes avant-coureurs de détresse parmi leurs collaborateurs et collaboratrices. L’inclusion de modules sur la santé mentale dans les programmes de formation au leadership pourrait combler cette lacune, en permettant aux managers de mieux soutenir leurs équipes tout en renforçant leur propre bien-être.
Les responsables RH ont ici une responsabilité importante. En valorisant dans les plans de formation l’importance du self-care et de la résilience, ils contribuent à renforcer une culture organisationnelle où chaque acteur ou actrice se sent soutenu(e). Cela passe également par la sensibilisation à l’importance de poser des limites et de dire non, autant pour les managers que pour leurs équipes, afin de prévenir l’épuisement.
Proposer des outils de diagnostic et d’accompagnement adaptés
Les outils de diagnostic classiques, comme les enquêtes de satisfaction, sont souvent peu adaptés pour évaluer la santé mentale, notamment en raison de leur anonymat, qui limite les interventions ciblées. Les managers manquent ainsi d’informations clés pour identifier les personnes en difficulté et ajuster leur soutien. Une approche complémentaire pourrait inclure des espaces de parole et des dispositifs de mentorat, afin de créer un climat de confiance et d’écoute.
Par ailleurs, la santé mentale ne peut être efficacement soutenue par une seule mesure générale. Des solutions individualisées, comme le coaching professionnel ou la psychothérapie, doivent être proposées de manière adéquate selon les besoins des employés, en évitant les interventions standardisées qui ne répondent pas toujours aux problématiques spécifiques.
Les entreprises ont tout à gagner à intégrer la santé mentale dans leurs politiques RH. En cultivant une culture de bienveillance et de résilience, elles favorisent un environnement de travail où chaque employé peut s’épanouir, se sentir en sécurité et contribuer au succès commun.