« Le parallélisme entre le jazz et le leadership managérial » (Episode 1)
Par Patrick Rasandi, Fondateur et dirigeant d’IPRH Consultants, Formateur, coach senior certifié, Membre du Bureau du Syndicat des Métiers du Coaching.
Cette tribune est la première d’une série consacrée au parallèle entre le jazz et le leadership. L’improvisation constitue un élément fondamental du jazz. Improviser c’est produire avec son instrument une mélodie originale, chaque fois différente, qui ne sera jamais jouée deux fois puisque générée dans l’instant. Improviser c’est donc faire preuve de créativité continuelle et assumer de prendre des risques en se lançant dans l’inconnu sans savoir d’avance ce que l’on va jouer. A priori rien de commun entre cette improvisation, quotidien du musicien de jazz, et les compétences qu’un dirigeant ou un manager doit démontrer.
Et pourtant, l’improvisation dans le jazz offre un parallèle puissant avec le management en période de transformation. Elle s’appuie sur plusieurs compétences critiques, elles aussi essentielles pour un dirigeant, en particulier en période de transformation.
Pas d’improvisation sans préparation
Vu de l’extérieur, le musicien qui improvise donne l’impression d’un lâcher prise total, d’une exécution d’une grande facilité. Ceci n’est possible que par une préparation rigoureuse et intense dans plusieurs directions : le travail de l’instrument, bien sûr, pour maîtriser la technique et qui passe par des heures d’exercices et de répétitions seul et avec ses collègues. La connaissance intime du répertoire qu’il exécute, fruit d’un travail d’écoute et d’assimilation. La connaissance de l’harmonie enfin pour pouvoir exploiter les différents accords qui composent la trame harmonique des morceaux sur lesquels il improvisera.
Le dirigeant, de son côté, ne peut s’exprimer avec conviction sans préparation (fond et forme) et la répétition, avec ou sans coach, est une bonne pratique. Ses interventions ont de l’impact parce qu’elles s’ancrent dans les valeurs et la culture de l’entreprise (pour le musicien le répertoire) et s’appuient sur les ressources disponibles (pour le musicien autres collègues musiciens, son instrument et les accords du morceau ?).
Sortir des sentiers battus
L’improvisation oblige à la créativité pour renouveler le discours musical et ne pas reproduire les mêmes phrases musicales à l’envie. Les musiciens de jazz explorent de nouvelles pistes et prennent des risques pour créer une pièce chaque fois unique. Ensemble et individuellement, ils remettent en cause leurs manières de faire, de construire leurs soli, d’interpréter, en recherchant de nouvelles idées et en pensant différemment. Comment ne pas établir le parallèle avec le rôle d’agent d’innovation du manager, qui doit encourager les nouvelles idées, accepter de remettre en cause les manières de faire dans une perspective d’amélioration continue ? Cette dynamique de soutien est évidemment essentielle pour encourager l’innovation. Les dirigeants doivent créer une culture d’entreprise où les collaborateurs se sentent en sécurité pour proposer des idées nouvelles et prendre des initiatives, avec le soutien de leurs collègues et de leurs supérieurs.
« Si tu ne fais pas d’erreurs, c’est une erreur »
La bienveillance, le droit à l’erreur, l’expérimentation favorisent l’improvisation, comme l’illustre si bien cette citation de Miles Davis. Dans le jazz, les musiciens osent et proposent des solutions innovantes ou décalées parce qu’ils savent qu’ils ne seront pas sanctionnés par leurs pairs ou leur chef d’orchestre à la moindre fausse note et que l’erreur est la condition première de l’expérimentation. Les managers peuvent s’inspirer de cette culture pour bousculer les routines et privilégier l’audace et la créativité. Ce droit à l’erreur vient nourrir la confiance sans laquelle un orchestre de jazz ne peut pas fonctionner.
La confiance, ciment de l’orchestre
Cette confiance s’établit entre les musiciens pour plusieurs raisons, non exclusives l’une de l’autre. Tout d’abord, la reconnaissance par chaque musicien de la compétence des autres, complémentaire à la sienne. Aucun – soliste ou accompagnateur – ne peut s’exprimer sans le support des autres. Le manager – à l’instar du chef d’orchestre – doit donc veiller à la complémentarité des compétences et au niveau adéquat des expertises.
Ensuite, cette confiance repose sur la volonté commune d’atteindre le même objectif, à savoir « livrer un produit de qualité », beau, harmonieux. L’orchestre va déployer son énergie et son talent au service de cet objectif et orienter ses efforts jusqu’à son atteinte. Comme pour toute équipe en entreprise, il s’agit de s’approprier les objectifs et de se focaliser sur les priorités.
Enfin, il convient de dire un mot du chef d’orchestre, qui – à travers un processus d’ajustement permanent – construit et entretient cette confiance. En recueillant les attentes de ses musiciens par rapport au programme du concert, en prenant en compte leurs remarques et suggestions (tempi, ordre des morceaux, succession des soli…), il peut faire évoluer le contenu de la prestation en temps réel en s’assurant de l’adhésion de son équipe et de son engagement dans le projet collectif. Ce feedback informel nécessite une forte intelligence émotionnelle et une écoute active, autant de compétences nécessaires aux managers dans leur rôle. Appliqués à l’entreprise, ces mécanismes d’ajustement continu peuvent faire référence aux méthodes agiles pour piloter les projets.
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Article BONUS / Conseil coaching rédigé par l’équipe d’IPRH Consultants !
Thème : « Le chronoworking peut-il chambouler les horaires de bureau ?
Décryptage d’un concept né en 2024 et qui n’a pas fini de faire parler !!
Début 2024, un nouveau terme faisait son apparition dans la newsletter de la journaliste Ellen Scott : le chronoworking. Le concept inventé par cette rédactrice spécialisée dans les mutations du monde du travail a depuis été repris et analysé par la BBC et Forbes, certains parlent même de «la plus grande tendance de 2024 en matière de santé au travail». Qu’en est-il ?
Écouter son horloge interne
Tous les humains sont “réglés” sur un cycle de 24h, qui rythme notre sommeil, notre faim, etc : c’est l’horloge interne, ou encore rythme circadien. Il existe cependant des différences selon notre héritage génétique, nos habitudes : c’est la raison pour laquelle nous sommes entourés de lève-tôt, d’oiseaux de nuit et de personnes qui oscillent entre les deux. Chacun a donc sa propre horloge biologique.
Ainsi, comme le rapporte la BBC dans un article sur le chronoworking : «55 % des personnes trouvent leur productivité maximale au milieu de la journée (de 10 h à 14 h) ; 15 % sont plus efficaces en début de matinée ; 15 % travaillent mieux tard dans la nuit ; et 10 % ont un rythme circadien plus erratique, qui peut varier d’un jour à l’autre.»
Le chronoworking nous exhorte à suivre notre propre horloge biologique : adapter votre rythme de travail à vos pics et vos baisses d’énergie, et pas le contraire. Ce qui implique notamment d’abandonner, si nécessaire, le sacro-saint 9h – 18h, et de se concocter une routine sur-mesure afin d’être plus efficace, tout simplement.
Les travailleurs nocturnes peuvent alors choisir de commencer tard, ceux qui sont du matin d’entamer leur journée à 6h et de finir plus tôt. Vous êtes plus productif après une bonne sieste ou une séance de running ? Dégagez-vous un moment dans la journée pour revenir encore plus en forme. On peut aussi imaginer des salariés souhaitant profiter des rares heures de soleil l’hiver, ou de moins travailler à un certain moment de leur cycle menstruel.
Un caprice de privilégié ?
Après le télétravail et la semaine de 4 jours, le chronoworking est-il encore une lubie inventée par les employés du tertiaire des grandes villes pour aller vers toujours plus de flexibilité, au détriment de la productivité des entreprises qui les emploient ? Ellen Scott, elle, préfère y voir un antidote à l’obsolescence des horaires de bureaux traditionnelles et du manque de productivité qui peut en découler :
«Trop d’heures sont passées de manière inefficace, trop d’employés essaient de forcer leur cerveau à fonctionner alors qu’il n’en est clairement plus capable – regardez autour de vous au bureau : combien de collègues inutiles après 16 heures, mais qui doivent continuer à faire semblant de travailler jusqu’à ce que l’horloge sonne enfin 17h30 ? »
La journaliste britannique va même plus loin, et prône la responsabilisation des salariés pour en finir avec l’infantilisation provoquée par le présentéisme :
«Je pense que le chronoworking est une autre façon de commencer à traiter les travailleurs […] comme des adultes – qui peuvent être dignes de confiance pour faire leur travail sans qu’un patron ne surveille le temps passé assis à un bureau.»
Autre point soulevé par Scott : l’obsolescence de ce qu’on appelle outre-atlantique le nine to five ( le 9 heures – 17 heures), en vigueur depuis les années 20. Plus de cent ans plus tard, la journaliste pose donc la question de les abolir… Ou du moins, de les adapter.
Est-ce réaliste ?
On peut tout de même noter que le chronoworking paraît taillé pour un certain type de secteur (notamment tertiaire) et de poste : difficile d’imaginer un boulanger décidant de n’ouvrir qu’à midi car il n’est pas du matin, ou un chirurgien seulement disponible l’après-midi pour opérer. Tout le monde ne peut pas se permettre d’écouter et suivre son horloge intérieure dans le cadre de son travail.
D’autre part, se pose la question du travail en commun et notamment des réunions : comment continuer à faire collaborer les équipes alors que chaque employé travaille sur un créneau horaire différent ? Là encore, Ellen Scott propose une solution : s’accorder sur des horaires communes à toute l’entreprise, afin de pouvoir caler les différentes réunions, par exemple en milieu de journée.
On peut également noter que le monde n’a pas attendu l’invention du terme chronoworking pour en faire l’expérience : Forbes rappelle notamment qu’en Espagne et aux Philippines, la sieste au milieu de la journée de travail est culturelle et pratiquée depuis bien longtemps. Plus récemment, la généralisation soudaine du télétravail suite à la pandémie de Covid 19 a permis à une multitude de salariés d’adapter leur planning pro à leur horloge biologique.
Essayez !!!
Même si vous n’êtes pas freelance ou que votre boss ne veut pas entendre parler de chronoworking, il vous est tout de même possible d’adapter votre rythme de travail à votre horloge interne, particulièrement lorsque vous êtes en télétravail.
Si, comme la plupart des gens, vous êtes plus alertes le matin, pourquoi ne pas en profiter pour caler vos tâches qui demandent le plus d’effort intellectuel en début de journée, comme les rendez-vous ou les comptes-rendus ? De même, si vous avez tendance à piquer du nez de 14 à 16h, planifiez des tâches purement exécutives et qui ne nécessitent pas une concentration à toute épreuve.